Tribune - Utilisons l’économie collaborative pour libérer les énergies

Les Echos | Le 10 mai 2016 de Pascal Terrasse, Loïc Jourdain, Michel Leclerc et Arthur Millerand

L'économie collaborative est une opportunité dont la France doit se saisir. Loin d'être un simple effet de mode, elle constitue un mouvement de fond irréversible qui s'appuie sur l'immense potentiel du numérique. Les Français ne s'y trompent pas en l'adoptant massivement, ce qui fait de la France un des pays moteurs du développement de l'économie collaborative à l'échelle mondiale. De même, certains champions mondiaux de cette économie (BlaBlaCar, Drivy, Videdressing) sont des succès tricolores.

Ceux qui critiquent son développement ou qui appellent à une interdiction de tout ce qui relève de près ou de loin de la tant redoutée  ubérisation, confondent souvent deux mouvements bien distincts : l'économie collaborative, d'une part, et l'économie des services à la demande, d'autre part.

Si, dans les deux cas, il s'agit de mettre en relation des offreurs avec des demandeurs, la gouvernance des plates-formes, leurs objectifs et leurs modes de fonctionnement diffèrent drastiquement. Les plates-formes collaboratives jouent un rôle de tiers de confiance. Elles ne fixent pas les prix des prestations (ce qui reviendrait à contrôler l'offre qu'elles agrègent) et fonctionnent comme des places de marché (le demandeur a le choix de l'offreur et vice versa). Enfin, le coeur du modèle collaboratif se trouve dans la mise à disposition d'un actif sous-exploité (il peut s'agir de biens, comme un appartement ou une voiture, mais aussi de compétences) dans le but d'optimiser son utilisation.

L'économie collaborative est riche de sa diversité et crée de la valeur en maximisant les actifs disponibles, mais aussi en permettant d'obtenir des revenus complémentaires et en créant de nouveaux marchés grâce à de nouveaux usages. Ainsi, certaines situations (par exemple la réparation d'un évier ou d'un smartphone) trouvent une solution dans les pratiques collaboratives et génèrent des échanges qui n'auraient pas eu lieu sans ces plates-formes. On assiste donc au développement de certains échanges, lesquels s'ajoutent aux professionnels établis du secteur. La juxtaposition des deux existe depuis longtemps. Qui s'étonne aujourd'hui de la coexistence des brocanteurs amateurs et des antiquaires professionnels  ?

Pourtant, l'heure actuelle est aux craintes et aux résistances, lesquelles sont essentiellement fondées sur des arguments juridiques et réglementaires. Le législateur se doit pourtant de répondre à la tendance lourde des individus, souvent jeunes, qui souhaitent bénéficier de ces opportunités. Mais attention à ne pas imposer trop de règles et à légiférer dans l'empressement (la loi Thévenoud sur le transport de personnes est un bon exemple), puisque cela risquerait de brider les initiatives. Il faut laisser une liberté importante aux acteurs économiques pour qu'ils puissent s'auto-réguler (gestion horizontale) puisque tout ne peut pas être imposé par l'Etat (gestion verticale).

La France doit se saisir de ce relais de croissance et les pouvoirs publics doivent accompagner ce mouvement au lieu de le freiner. Le premier service à rendre aux Français est de fournir un cadre simple pour établir des repères stables indispensables à la sécurité juridique des utilisateurs et des entrepreneurs. En particulier, les administrations fiscale et sociales doivent clarifier leur doctrine sur les revenus tirés par les particuliers à titre occasionnel. Des règles fiscales qui distingueraient deux situations - d'un côté, l'amortissement de bien et, de l'autre, la mise à disposition de temps pour rendre des services - nous paraissent les plus pertinentes.

Le traitement réservé à l'économie collaborative en France est l'occasion de démontrer que l'Etat agit pour sécuriser et accompagner un mouvement économique de fond ambitieux et prometteur sans lui asséner des contraintes juridiques et réglementaires excessives qui le brideraient. Les dispositifs qui favorisent la confiance sont essentiels dans l'économie collaborative. Il est temps que l'Etat adopte cette même logique vis-à-vis de cette économie naissante.

Pascal Terrasse, Loïc Jourdain, Michel Leclerc et Arthur Millerand

Pascal Terrasse, député (PS) de l'Ardèche, est l'auteur d'un rapport au Premier ministre sur l'économie collaborative. Loïc Jourdain (Stootie.com), Michel Leclerc (avocat) et Arthur Millerand (avocat) sont les fondateurs du blog Droitdupartage.com.